Yé suis seule...

Je ferme doucement les yeux. Le chaton ne s'envolera pas. Il continuera à rester froid à mon égard. Moi, en attendant, je peux réfléchir à tout et à rien. Le soleil brille, mais la température se refroidit avec la venue du soir. Ma respiration crée une fine buée blanche qui disparait aussi rapidement qu'elle est venue. Je m'en amuse. Je garderais éternelle mon coeur de chaton. On ne vieillit vraiment que physiquement. Mes idées, mes façons de penser, et mes idéaux resteront les mêmes. Enfin. Je l'espère. Tout peut arriver. Du jour au lendemain, tout peut changer et s'envoler. Tout ce que l'on apprend, en vain. Je crains cette fin. Cette fin si communément appelée la mort. Mais, vous me direz, tous et chacun craignent la mort. Si on approfondit cette idée, on remarque qu'on perçoit la fin de la vie de manière différente que son prochain. Je m’ébrouai. J'avais trop divagué dans mes pensées. Regarder la masse de poils devant moi vint à me faire penser que ce manège pourrait durer longtemps. Aucun apprenti ne daignait à rester aussi longuement en présence d'un petit, sans bouger ni parler. Mes pairs sont impulsifs et excités. Un chaton à une manière totalement différente de réagir et surtout, de progresser. Je veux en apprendre plus sur ce chaton. Je me demande jusqu'où ira ma détermination. Toute bonne chose à une fin. Je me doute bien que la petite à une patience presque aussi grande que la mienne. Je ne suis pas sûr de comprendre ... Pourquoi ne veut-elle pas me parler? Plusieurs raisons s'imposent à moi, mais je les rejette. Elle a peut-être trop peu confiance en les autres. Peut-être qu'elle garde simplement une colère froide omniprésente. Cela voudrait dire qu'elle est comme cela avec tous les autres? Ce serait le plus logique. Bien que ... La logique n'est pas de recours dans ce cas-ci. Ces paroles prononcées d'une voix aiguë me sortent de ma transe:

<< Tu veux ma photo? >>

Drôle de questionnement. Je rouvre mes yeux. Je fixe le chaton, sans comprendre. Non, bien sûr que non, je ne veux pas sa photo. J'ai déjà dressé un portrait complet de la jeune chatte. Une seule chose, cependant, m'échappe. D'où lui vient cette animosité? Petite Innocence a quelque chose de repoussant dans son attitude. Pourtant, cela a l'effet tout à fait contraire sur moi. Avant que n'esquisse un geste, le chaton est déjà dehors. Je soupire. Dois-je le suivre et écouter ma curiosité? Ou aller bien sagement me coucher. Ma décision penche vers la curiosité. Je n'ai pas encore démêlé le mystère entourant le chaton et je compte en faire mon but. Je me lève avec la grâce qui est propre à tous les chats. Le museau levé, je piste le chaton. Il ne doit pas savoir que je le suis. Du moins ... Pas tout de suite. La piste de Petite Innocence zigzague à travers la forêt. À l'abri des fourrés, j'aperçois la fourrure éparse couleur léopard de la fugitive. J'allais signaler ma présence, mais voilà que le chaton est déjà reparti. La nuit est maintenant tombée, nous enveloppant comme deux ombres menaçantes. La forêt est calme et le temps, de plus en plus froid. Je repense à la chaleur ambiante de la pouponnière et chasse cette pensée. Mon regard de glace se pose sur Petite Innocence qui s'est de nouveau arrêtée. Je l'observe, mes pupilles réduites à deux fentes noires sur mes yeux bleus. À pas de souris, je m'avance vers elle. J'évite de ressembler à une menace. Le chaton ne me voit pas approcher jusqu'à ce qu'il tourne ses yeux vers moi. Je m'arrête. Avant de laisser le temps à Petite Innocence de s'énerver, je lui dis d'une voix lente et douce:

- Je ne te comprends pas. Tu es différente et je veux apprendre de toi. Qui a dit qu'un apprenti ne pouvait rien apprendre d'un chaton? Tu es convaincue de quelque chose et je veux savoir ce que c'est. Pourquoi es-tu si belliqueuse? Qui t'a fait du mal par le passé, pour suffisamment noircir ton âme? Je ne te veux pas de mal et tu en parfaitement conscience. Tu hais une partie des autres. Que hais-tu chez moi? Tu crois te donner le droit de tous nous détester sans nous connaître. Pourquoi?