Aucun titre. [Pv Aurore Australe] Abandonné.

Je trottais le long de la frontière qui séparait le territoire des Sentiments Embrasés de la Forêt de Cerisier lorsque je les aperçus. Deux grands félins couraient entre les arbres, leurs pelages tachetés se fondant dans les ombres. Leurs foulées souples et silencieuses les propulsaient à une vitesse telle que leurs pattes semblaient à peine toucher le sol. Je m'arrêtais pour les contempler, et, fascinée par leur beauté sauvage, je mis un instant à remarquer la patrouille qui les poursuivait.
* Tu vois, Pelage d'Eau, je ne suis pas la seule à trouver très amusant d'échapper à ces chats des Clans. *
Mon esprit demeura invisible, mais ses pensées résonnèrent dans ma tête, et son agacement dans mon cœur.
* Tu es complètement folle. Et ces deux-là aussi ! *
* De toute façon, c'est ridicule de les poursuivre. Un chat ne pèse pas le poids face à un grand félin ! *
* Tu as raison, l'un d'eux s'est fait avoir. *
Je remarquais à cet instant seulement que la proie de l'un des grands félins était le corps d'un chat. Je fus prise de nausée.
* Ils sont écœurants. *
* À chacun son régime alimentaire. *
Je regrettais que Pelage d'Eau ne se soit pas matérialisé, car je l'aurais volontiers fusillé du regard.
* Ce ne sont pas des vrais grands félins ! Ils ne vivent pas ici. Ce sont des chats ayant un pouvoir. D'ailleurs, je trouve ça complètement absurde de pouvoir se transformer en autre chose. On est un chat, pas... pas... ça ! *
Seul un grognement me répondit. Pelage d'Eau estimait visiblement que la conversation était terminée. Je levais les yeux au ciel et reportais mon attention sur mon environnement.
Nous étions arrivés à la Forêt de Cerisier. L'air était empreint du parfum doux quoique un peu entêtant des pétales de fleurs, et la lumière prenait une teinte particulière, luisante comme la rosée.
Je m'arrêtais au pied d'un arbre particulièrement majestueux, et baissais la tête pour lisser la fourrure de mes larges épaules de quelques vigoureux coups de langue. Alors que je finissais ma toilette et me demandais si j'allais, oui ou non, faire une petite sieste ici, un bruit de mastication troubla le silence. Je me relevais avec agacement et me glissais dans un buisson pour voir celui qui osait me déranger.
C'était le grand félin. Penché sur le corps du chat, il mangeait visiblement sa proie, et je ne pus retenir une grimace de dégoût. À son côté, une chatte grise dévorait un moineau.
Le vent tourna, apportant mon odeur aux deux inconnus. Le grand félin était visiblement trop occupé à dévorer son repas pour s'en apercevoir, mais sa compagne, elle, releva la tête. Elle se transforma en grand félin, et je haussais les sourcils, surprise. Les esprits ne possédaient en général pas de pouvoir.
L'autre avait relevé la tête et me toisait. Je soutins son regard sans broncher. Il espérait visiblement que je craquerai et parlerai la première, mais je demeurais impassible. Moi aussi, je savais jouer à ce jeu.
L'inconnu céda le premier.
<< Qui es-tu ?! >> feula-t-il.
Je souris, contente d'avoir remporté cette première manche. Je m'extirpais du buisson et me campais devant lui.
« Aurore Australe, pour te servir... pas de repas ! Tu manges souvent des chats ? C'est assez répugnant. Tu sais que tu manges tes congénères ? Tout de même, un peu de savoir-vivre. Par exemple, la politesse voudrait que tu salues correctement une chatte. Et que tu reprennes ta forme de chat, là, tu détonnes un peu dans cet endroit. Et puis, tu pourrais m'inviter à partager ton repas. Mmh, oublie. C'est une mauvaise idée. »
Tout cela sur un ton nonchalant et assuré, teinté d'une pointe de sarcasme.

<< Tiens, voilà, tu m'as vu, t'es heureuse ? >>
Ce félin me laissait perplexe. Son ton sec et son expression froide laissaient penser qu'il était dur, mais il venait de céder, pour la deuxième fois déjà. Sous ses grands airs, il n'était finalement pas si cruel que ça... enfin, il ne fallait pas oublier qu'il mangeait des chats.
Oui, décidément, un personnage plein de contradictions. Cette rencontre pouvait se révéler intéressante, tout compte fait. Je m'assis, la queue enroulée autour des pattes.
« Je m'appelle Aurore Australe. Mon esprit boude, donc vous ne le verrez pas, mais il se nomme Pelage d'Eau. Nous sommes des solitaires, mais ça, vous devez le savoir, vu la manière dont vous nous avez tourné autour en nous reniflant, de manière fort inélégante d'ailleurs. Et vous, vous êtes ? »
Je ne me montrais d'habitude pas si amicale, mais je me sentais étrangement proche de ce chat-grand félin. Nous nous ressemblions, d'une certaine façon...

<< Je m'appelle Porte des Enfers, et elle, c'est ma sœur et mon esprit : Porte du Ciel. Et puis oui, je sais que je ne suis pas élégant et je m'en fiche un peu en fait... >>
Je fus surprise de ne déceler dans sa voix ni raillerie ni colère. À bien y réfléchir, il semblait même plutôt las. Étrangement, cela me rendis attentive à ses paroles, comme si ses mots, soudainement, prenaient une plus grande importance.
Porte des Enfers... Porte du Ciel... Ces noms me disaient quelque chose, pourtant j'étais sûre de ne jamais avoir rencontré ces deux-là. Je m'en serais souvenue, sinon... Je labourais le sol de mes griffes, irritée de ne pas savoir d'où me venait cette impression.
* Les Clans. *
Pelage d'Eau avait brièvement reprit la parole dans mon esprit, puis je le sentis se retirer à nouveau.
Les Clans ? Que voulait-il dire par là ?
Puis je me souvins. C'était il y a de nombreuses lunes ; un solitaire avait rejoint un Clan, puis l'avait trahit pour un autre, et cela jusqu'à avoir fait partie de chacun des quatre. Comme moi.
Je me rendis compte que je restais planté là sans rien dire, en vraie cervelle de souris que j'étais. La gêne m'envahit devant le silence prolongé qui s'étendait entre nous. Je me secouais, furieuse. Je n'avais pas à me sentir honteuse pour un inconnu. Et le silence ne m'avait jamais mit mal à l'aise.
« Je crois qu'on peut s'arrêter là. Ravie de t'avoir rencontré. À la prochaine, et pas dans ton estomac, merci. »
Je m'éloignais d'un pas résolu. Une petite partie de moi voulait fuir loin de Porte des Enfers, loin de ces émotions tumultueuses qui bouillonnaient en moi, pour y réfléchir tranquillement. L'autre, la plus grande, souhaitait ardemment qu'il me rappelle...
Retiens-moi, retiens-moi, retiens-moi...

Je continuais ma route en luttant contre la déception. Il ne me rappelait pas. Pourquoi l'aurait-il fait ? Je serrais les mâchoires, furieuse contre lui, furieuse contre moi, furieuse de me sentir furieuse.
Et puis... des bruits de pas, lents et légers d’abord, plus rapides et plus lourds soudain.
Une forme fuselée bondit devant moi et me coupa la route. Je m'arrêtais net, évitant de justesse la collision.
Il m'avait suivi.
Le soulagement me submergea. Le soulagement ? Je ne connaissais pas ce chat. Nous nous ressemblions, oh oui, et alors ? Je ne lui devais rien, si ?
Et puis il se transforma, cette fois assez longtemps pour que je puisse distinguer les couleurs rousses et blanches de son poil long, et les étranges reflets de ses yeux rouge et noir.
Porte du Ciel - étonnant de voir la familiarité avec laquelle j'employais leurs noms - se tenait légèrement en retrait, attentive. Elle montait visiblement la garde, et je me demandais contre qui. Contre moi ? Ou bien guettait-elle un autre danger ?
<< Je te ne mangerais pas, tant que tu ne fais pas de mal à ma sœur ou à moi. Et de plus, pourquoi pars-tu ? >>
Ses paroles firent courir un frisson le long de mon échine. Il disait la vérité, je le sentais, et j'en buvais chaque mot. Était-ce le mensonge dans lequel je vivais depuis si longtemps qui me rendais la vérité si précieuse ? Ou cela était-il lié à cet étranger, que je ne considérais déjà plus comme tel ?
J'ouvris la gueule pour répondre. Je savais que ce serait un mensonge. Et puis une envie brusque d'honnêteté me submergea. Et je lui livrais ma vérité.
« Je ne m'en prendrais pas à toi ou à ta sœur. Et je ne voulais pas partir. Je l'ai fait parce que tu me troubles tant que j'ai l'impression d'être en danger. Parce que je ne veux pas d'amis, pas de personnes à pleurer, pas de personnes à aimer. »
Je clignais des yeux, surprise par mes paroles. Les mots avaient jaillis, épurés, sans que je m'y attende.

<< Dis-moi ... As-tu de la famille ? >>
En une poignée de secondes et quelques mots, Porte des Enfers fit voler en éclats la trêve fragile qui nous liait.
Une bouffée de haine me submergea, et je sentis mon pelage se hérisser, mes griffes se dégainer, mes oreilles s’aplatirent en arrière et mes muscles se tendre – pour bondir ou pour fuir ? Je ne le savais pas moi-même. Une envie féroce de sauter à la gorge de Porte des Enfers m’envahit, envie de sentir son sang couler et imbiber la terre.
Si j’avais été plus lucide, je me serais étonnée qu’un simple mot puisse déclencher chez moi une réaction aussi violente, mais justement, je ne l’étais pas. Je ne l’étais plus.
Un trait de lumière fusa dans l’espace à ma droite, et je sus que Pelage d’Eau s’était enfin matérialisé. Trop tard cependant. Je ne lui prêtais aucune attention, et m’avançais jusqu’à me retrouver à un poil du museau de Porte des Enfers.
« Ne parle plus de ma famille. Plus jamais, tu m’entends ? Ou je te le ferais payer cher. »
Aucune futilité dans ces mots. Rien qu’une intonation froide, acérée, comme des griffes crissant sur un rocher. Prononcées par n’importe qui d’autre, ces paroles auraient été ridicules, énoncées par Aurore Australe, elles devenaient effrayantes.
Horrifié, Pelage d’Eau se rendit compte que seule la promesse de sa compagne l’empêchait de sauter à la gorge de Porte des Enfers, et qu’un seul mot de travers de celui-ci pouvait déclencher une bataille sanglante.

Porte du Ciel bondit de sa branche en feulant, et se transforma en grand félin dès que ses pattes touchèrent le sol. Je ne lui accordais aucune attention, trop occupée par mon duel avec Porte des Enfers.
Ce dernier ne paraissait pas le moins du monde effrayé, et je me demandais un instant s'il était fou, courageux ou complètement stupide.
<< Attaque-moi, alors. >>
Ces mots, pourtant prononcés avec naturel, ou peut-être justement à cause de ça, augmentèrent ma rage.
« Peut-être n'as-tu aucune idée de ce que signifie une promesse, ou le sens de l'honneur, mais dans ce cas, ne compte pas sur moi pour te l'expliquer ! » lui crachais-je au visage.
Puis je fis volte-face d'un mouvement brusque, et m'enfuis à toute vitesse.
* Qu'est-ce qui te prend ? Tu as peur ? * m'interrogea Pelage d'Eau, qui m'avait suivie.
Il n'était pas vraiment dédaigneux, plutôt surpris.
* Non ! * hurlais-je intérieurement. * Si je reste près de lui, je lui arracherais la fourrure pour en garnir mon nid ! *
Mon compagnon décida qu'il valait mieux pour lui ne pas rester près de moi quand j'étais dans cet état là, et il disparut aussi vite qu'une souris effarouchée.
Encore furieuse, je ralentis l'allure en voyant les cerisiers se raréfier. J'avais atteint la frontière de l'un des Clans. Je m'arrêtais net, hors d'haleine et hors de moi, et me retrouvais stupidement plantée là, sans savoir quoi faire.

Une odeur désagréable submergea soudain mon odorat, occultant presque le parfum entêtant des fleurs. Que ce passait-il ?
Affolée, je tournais la tête en direction de la fragrance puissante, mais avant que je puisse la reconnaitre, un bruit de course détourna mon attention.
Un éclair de fourrure fauve surgit comme une flèche à travers la lumière rosée, et s'arrêta devant moi. Je reconnus Porte des Enfers, et un feulement ulcéré monta dans ma gorge. Il allait bientôt me laisser tranquille ?!
Le solitaire reprit sa forme de chat, tandis que son esprit se postait près de moi, le regard menaçant. Je lui montrais les crocs, agacée.
<< Je n'ai jamais fait de promesse et je n'en ferais jamais, ça ne sert à rien. Nous n'avons qu'à changer de sujet, même si la nuit se pointe. >>
Et il osait sourire, en plus !
« À quoi rime cette discussion ? » répliquais-je froidement. « Si je comprends bien, il n'y a rien que tu ne trouves ridicule ou inutile. Va donc suivre ton chemin, et laisse moi suivre le mien ! »
Je lui tournais le dos et plongeais derrière un tronc noueux. Au même instant, l'odeur que j'avais déjà sentie plus tôt s'intensifia. Je m'arrêtais net, comprenant soudain pourquoi elle m'était familière, lorsque je me retrouvais nez à nez avec un renard.

Je me raidis, prête à affronter le prédateur, mais avant que j'ai pu faire un geste, Porte des Enfers jaillit dans mon dos, sous sa forme de puma - je venais de retrouver le nom du grand fauve dont il prenait l'apparence.
Je ne pouvais pas nier que j'étais soulagée. Sous sa forme de puma, il faisait deux fois la taille du renard. Celui-ci n'avait pas la moindre chance.
La suite me prouva que j'avais raison.
Le prédateur bondit en avant pour mordre Porte des Enfers au ventre, mais, comme insensible, le solitaire se contenta de lui asséner un coup de patte qui le fit rouler au sol. Le renard fila sans demander son reste.
Hum. Ce pouvait être intéressant, d'avoir un guerrier pareil comme allié. J'allais essayer d'être un peu plus gentille avec lui, à l'avenir...
<< T'aider était inutile ou ridicule, c'est comme tu veux, ça ne me dérange pas. >>
... si j'y arrivais.
Sans répondre, je fis volte-face, les oreilles dressées et la truffe au vent. Je finis par repérer le fumet d'un campagnol. Le rongeur grignotait des faînes au pied d'un cerisier. Je pris la position du chasseur, rampais silencieusement dans sa direction, puis d'un bond, je clouais ma proie au sol et l'achevait d'un coup de dents.
Je la ramenais à Porte des Enfers, et, la lâchant devant ses pattes, j'articulais froidement :
« Le combat t'a donné faim ? Excuse-moi de ne pouvoir te proposer un plus grand format, mais il faut se contenter de ce qu'on a. À moins que manger entre dans ta liste "ridicule" ou "inutile" ? »

Porte des Enfers ne daigna même pas regarder le campagnol à ses pattes. Il se contenta de planter ses yeux dans les miens.
<< Tu veux juste te battre, c'est ça ? >> miaula-t-il froidement.
À côté de lui, Porte du Ciel braquait sur moi un regard menaçant.
Ils commencent à me chauffer les oreilles, ces deux-là !
« Écoute moi bien », dis-je en grinçant des dents. « C'était un cadeau pour te remercier. Si tu le prends mal, c'est ton problème. Je ne vais pas perdre mon temps à essayer de ne pas froisser ta susceptibilité. J'en ai assez. Si tu veux la bagarre, tu vas l'avoir. En attendant, je vais suivre ta suggestion et m'abriter. Libre à toi de me suivre. »
J'espérais qu'il me suivrait. Je n'avais pas envie d'affronter un aussi puissant guerrier, surtout après sa démonstration. Mais s'il me cherchait, il allait me trouver. Alors, les muscles tendus, je pris la direction d'un terrier vide que j'avais remarqué plus tôt.